Quand la nourriture devient une obsession
- AK
- 21 mars 2020
- 9 min de lecture
Nourriture: petits morceaux d'énergie inoffensifs dont les humains ont besoin au quotidien pour rester en vie et pouvoir accomplir les tâches auxquelles ils sont destinés. Obsession: une préoccupation inquiétante persistante avec une idée ou un sentiment souvent déraisonnable Calories: une unité d'énergie

Manger est quelque chose de naturel et spontané chez les humains. Cela nous permet de fonctionner dans la vie de tous les jours. La nourriture nous maintient en vie. Elle donne de l'énergie à notre corps pour faire des choses incroyables. Néanmoins, on peut parfois avoir des réactions et des comportements inhabituels envers la nourriture.
Les raisons? Émotions, traumatisme, pression et commentaires des gens, médias et réseaux sociaux, des «normes» de la société à suivre etc…
Selon NEDA (National Eating Disorder Association = association pour les troubles du comportement alimentaires aux USA), près de 70 millions de personnes dans le monde sont susceptibles de souffrir de troubles de l'alimentation dans leur vie. J'ai été étonnée par ce nombre élevé, mais quand on y réfléchit, cela n’est pas tellement surprenant. Le stress et les déclencheurs de ce trouble sont partout dans notre vie quotidienne, que vous en soyez conscients ou non. Personne ne nous a appris à les gérer sainement. Pour nous protéger, nous avons tous nos petites habitudes qu’elles soient saines ou non.
Déjà petite, j’étais curieuse de découvrir de nouveaux aliments. Je passais mes journées dans la cuisine à côté de ma mamie et de ma maman. Je n’étais jamais loin de la cuisine pour les aider.. Les repas ont toujours été d’agréables moments passés avec ma famille. Je n'ai jamais entendu parler de calories, de «mauvais» aliments et de régimes au sein de ma famille. Je mangeais quand j’avais faim et j’arrêtais quand je n’avais plus faim.
Mais malheureusement, les choses ont changé quand j’ai grandi. Quand j'ai commencé à aller aux stages nationaux, j'ai appris que la nourriture était quelque chose que nous devions contrôler. Nous n'avions pas le droit de manger trop de glucides. Le sucre était un ennemi et le moins on mangeait, le mieux c’était. Je redoutais les repas, car je savais que j'entendrais des commentaires et découvrirais de nouvelles règles sur ce que j’avais le droit de manger et ce qui était interdit. Les plateaux et assiettes étaient toujours vérifiés par les entraîneurs. Après les repas, mes coéquipiers et moi avions encore faim. En fait, nous avons probablement mangé moins de 400 kcal après avoir eu 3 heures d’entrainement le matin et avant d’aller s’entrainer pendant 3 heures l'après-midi. Le matin, nous allions courir sans rien dans nos petits estomacs affamés. N’est-ce pas malsain ? Avec le temps, tout cela est devenu normal. Si nous voulions être sélectionnées aux compétitions, nous devions suivre les règles. Les gymnastes plus âgées contrôlaient également ce qu'elles mangeaient. En voyant les grandes faire de même, je me suis dit que tout cela était normal.
En gymnastique, l’apparence est très importante. Plus on est mince et légère, mieux c'est. On fait des figures dangereuses toute la journée. Il est donc logique qu'être en bonne forme facilite les choses. Chaque jour, nous devions nous peser avant l'entraînement. Si l’on prenait 200g, une réflexion suivait. Soit nous devions faire plus de musculation, soit faire encore plus attention pendant les repas, ou les deux. Les commentaires sur notre apparence arrivaient de tous les côtés : entraîneurs, spectateurs, juges. Ces commentaires ne me concernaient pas toujours ou pas forcément. Néanmoins, quand vous entendez constamment "cette fille a besoin de perdre du poids", ou "celle-ci est trop potelée", "elle est magnifique, elle a probablement perdu du poids" etc ... alors vous comprenez rapidement que les gens ne se soucient plus de votre apparence que de vos performances gymniques.
J'ai associé être mince/fine à la réussite.
Parce que je voulais réussir, j'ai commencé à contrôler la seule chose qui, j’en été persuadée, allait m’aider : contrôler ce que je mangeais.
À partir de l’âge de 13 ans, j'ai commencé à me peser au moins 5 fois par jour: avant le petit déjeuner, après le petit déjeuner, après le déjeuner, après l'entraînement, avant le dîner, après le dîner et avant le coucher. Mon poids fluctuait évidemment tout au long de la journée, mais je savais comment le contrôler. J'ai commencé à manger plus sainement. Je me sentais bien parce que mes entraîneurs me disaient que j’étais « belle » et que je devais rester comme ça. J'ai commencé à compter les calories. En classe, je planifiais ce que je mangerais pendant la journée et calculais combien de calories il me restait pour le reste de la journée. Je pensais à la nourriture à chaque seconde. Au début, j'avais faim, mais la faim s'est dissipée lentement. Je n'ai jamais cessé de manger, car en tant que gymnaste de haut niveau, j'avais encore besoin d'énergie pour m'entraîner. Mais parce que je restreignais mes apports nutritionnels et parce que je m’entrainais tellement, mon poids baissait. Le médecin, la diététicienne et même mon entraîneur s’inquiétaient une fois un certain poids atteint. Je devais répondre à diverses questions concernant mes habitudes alimentaires, mon niveau de stress etc… En répondant aux questions, je me disais "ils sont stupides s'ils pensent que je serai honnête». Le médecin a même appelé mes parents pour savoir si je mangeais à la maison. Je me restreignais beaucoup la semaine et mangeait normalement le week-end pour que personne ne découvre « mon univers secret , mon échappatoire ». Je disais à tout le monde que j'avais perdu du poids parce que j'étais stressée et parce que les entrainements étaient intensifs. Tout le monde semblait satisfait de cette réponse, ce qui m’arrangeais.
J’étais terrifiée à l’idée de prendre du poids. Quand je dis terrifiée, je l'étais vraiment. Comme si le monde allait s’arrêter en cas de prise de poids.
En me pesant le matin, je savais qu’en cas de prise de poids (même 100g), j’allais être de mauvaise humeur pour le reste de la journée… Honnêtement, cela me rend triste d'écrire ces phrases parce que je me souviens de la peur que j'avais chaque matin durant toutes ces années avant de monter sur la balance .Mes coéquipiers m'ont toujours demandé comment je faisais pour rester « en forme ». Les gens me disaient sans cesse que j’avais de la chance d’avoir cette morphologie. S’ils savaient ce que j’ai fait subir à mon corps et mon esprit durant toutes ces années…
Un été, après une intoxication alimentaire, où je n'ai rien pu manger pendant 5 jours je suis retourné au gymnase. Les gens me disaient que j’étais superbe. J’expliquais que j’avais été malade pendant une semaine entière mais personne ne semblait m’écouter. Ce qui importait, c'était que j'avais perdu du poids. Quelques semaines plus tard, j'ai commencé les cours à l'université en France. C'était dur et stressant. Certains de mes entraîneurs ont remarqué que je continuais à perdre du poids et l'une de mes coéquipiers savait ce qu’il se passait. Ils voulaient que je parle au médecin, mais je n'y suis jamais allée. J’avais peur de ce qui allait se passer. Je suis devenue de plus en plus fatiguée, je n'avais plus d'énergie et mon esprit était toujours absorbé par des pensées sur la nourriture. J'étais plus concentrée sur mon apport alimentaire que sur mes cours. Je ne sais toujours pas comment j'ai réussi à obtenir de bonnes notes en cours et à être performante en gymnastique. Enfin si, je sais : grâce à mon perfectionnisme. Lorsque j’ai une idée en tête, je fais tout pour réussir. J'y mets toute mon énergie jusqu'à ce que je réussisse même si cela signifie être épuisée à la fin … (Mais j'ai appris à ne plus le faire :)) Cela n’est pas très sain. Cependant ça a fonctionné pendant des années.
La majorité des personnes atteintes de TCA ont une personnalité de type A: tempérament caractérisé par une ambition excessive, la compétitivité, la motivation, l'impatience, le besoin de contrôle, un sentiment d'urgence irréaliste.
En 2017, j'ai pensé que je devais m'éloigner de cet environnement toxique. J'ai eu l'occasion de partir aux États-Unis et de faire de la gymnastique universitaire. Lors de mon premier rendez-vous médical de l'année, j'ai également eu le droit aux questions « basiques » concernant mes habitudes alimentaires. Je n'étais toujours pas complètement honnête en répondant au médecin. J'en avais assez d'avoir ces pensées constantes sur la nourriture dans ma tête, mais j'avais aussi peur de perdre ce contrôle. J'avais un «poids normal bien que bas» mais le médecin m'a quand même demandé d'aller voir la diététicienne. Elle m'a expliqué ce que je devais manger pour mon niveau d’activité. Je l’ai écouté attentivement en pensant "il est impossible pour moi de manger tout ce qu’elle me demande". Je l’agaçais probablement à certains moments lors de nos nombreux RDV. Elle essayait de m'aider et de m’éduquer sur les apports nutritionnels nécessaires afin que je sois capable de performer et d'avoir suffisamment d'énergie pour les entraînements et les compétitions. Même si je n’écoutais pas à l'époque, ces conseils me sont très utiles aujourd'hui.
Parce que les entrainements étaient différents aux États-Unis avec plus de musculation, j'ai vu mon corps changer et j'ai pris beaucoup de muscles. Je détestais cela. Je ne sais pas pourquoi mais je n’ai jamais aimé être musclée. Puis, la saison gymnique a commencé. Le stress des voyages, des cours et des compétitions était difficile à gérer. Mais, je suis arrivée au bout de la saison en faisant le concours général toutes les semaines pendant 14 semaines de suite ! OUF !
L'été suivant était éprouvant. Je n’avais aucune motivation. J'étais un peu perdue avec moi-même et j'avais toujours ces pensées négatives sur mon corps … Je me souviens être allée chez le médecin cet été-là. Elle m'a demandé: "Préfères-tu être triste et maigre ou être heureuse et ne pas te soucier de ton apparence?" La réponse était évidente pour moi et elle m'a mise en contact avec une psychologue.
Elle n'a pas posé plus de questions, mais m’a prise en main au bon moment.
J'ai été envoyée chez une thérapeute spécialisée dans les performances sportives et les troubles de l'alimentation en Arizona. Au début, seule la médecin savait que j’allais voir cette dame. J’avais honte, car je pensais que la thérapie était réservée aux personnes ayant des problèmes plus graves. En m'ouvrant à quelqu'un, j'ai appris que j'avais vraiment besoin d'aide… J'ai lentement commencé à en parler à mes entraîneurs qui m'ont beaucoup soutenus tout au long du processus. Ils n'ont jamais demandé de détails mais étaient là si j'avais besoin. Même chose pour mes coéquipières qui m'ont soutenues pendant ces moments difficiles.

Les différentes étapes
La première étape a été d'accepter et de comprendre que ce que je faisais était malsain. Il m'a fallu beaucoup de temps pour le reconnaître… mais j’ai fini par le croire et à le comprendre après avoir entendu ma psychologue me le répéter chaque semaine. Ensuite, ne pas peser ma nourriture était un autre objectif. Lentement, la prochaine grande étape consistait à arrêter de me peser plusieurs fois par jour, puis à ne plus me peser du tout. Casser ma balance a été libérateur même si je paniquais de ne pas pouvoir me peser au début.

Comprendre que ce chiffre représente uniquement ma relation à la gravité et qu’il ne me définit pas en tant que personne, était quelque chose de difficile à croire, mais à un moment donné je l'ai cru.
J'ai compris que de connaître mon poids n'allait rien ajouter à ma vie. Par conséquent, je ne me pèse plus. Chez le médecin, je me pèse de dos et je lui demande de ne pas mentionner de chiffres (Oui, vous avez le droit de faire cette demande à votre médecin si connaître votre poids vous angoisse. Pendant très longtemps, je ne savais pas que c'était une option, mais croyez-moi, cela change la vie!).
Trouver un bon équilibre avec le sport était également très difficile. Cela m’a pris du temps, mais aujourd'hui, j'ai une relation saine avec le sport. Je ne suis plus concentrée sur le nombre de calories que je brûle pendant un effort. J’écoute ce que mon corps me demande. Et si je suis fatigué ou simplement pas motivée, je ne fais rien.
Enfin et surtout, je ne vais pas mentir, la partie « nourriture » a été la plus difficile. Manger suffisamment, ne pas restreindre, ne pas trop y penser et ne pas planifier ce que je mange n’a pas toujours été facile, notamment pendant les périodes de stress.
C'est un processus qui prend du temps. Oublier les croyances et les comportements passés demande beaucoup de travail, de temps et de patience.
Chaque jour, j'entends quelqu'un parler de régimes, de la quantité de poids à perdre, que tel aliment est mauvais et qu’il faudrait uniquement manger des légumes pour maigrir, du sport qu’il faut faire pour perdre les calories mangées hier… Il est difficile de ne pas y prêter attention et de ne pas retomber dans le côté obscur. Pendant ces périodes, j’essaye de me rappeler que ces pensées sont irrationnelles et que je ne veux pas revenir à mes vieilles habitudes parce que cela est malsain.
N'oubliez pas que l'apparence et les habitudes alimentaires d’autres personnes ne vous concernent pas. En effet, ces personnes essayent peut-être de guérir d’un trouble du comportement alimentaire, être atteintes d’une autre maladie (cancer, diabète, …), traverser une période compliquée émotionnellement, ou tout simplement être en bonne santé. Nous sommes tous différents et nos corps aussi. Nous avons tous des besoins et des goûts différents. Même si nous mangions tous la même chose, nous serions toujours différents. Vous devez savoir ce qui fonctionne pour vous et ce qui vous fait du bien. Il n'est pas nécessaire de commenter ce que les gens décident de manger ou de ne pas manger.. Et si quelqu'un veut partager son expérience avec moi, je suis toujours là pour vous écouter et vous soutenir comme de nombreuses personnes l'ont fait pour moi.
Si vous voulez en savoir plus sur les troubles de l'alimentation et les troubles de l'alimentation, consultez le site Web de la National Eating Disorder Association: https://www.nationaleatingdisorders.org/ Merci d'avoir lu jusqu'au bout :)
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